Femmes en noir du Faso: Un exemple de Courage
Ces femmes qui croient encore en la justice
Par Idrissa Barry
Sur le modèle des " Mères de la Place de Mai " en Argentine, des femmes burkinabè se réunissent chaque premier dimanche du mois au cimetière de Gounghin à Ouagadougou. Un rendez-vous mensuel respecté depuis un an par des femmes qui refusent de baisser les bras après le non lieu sur l'affaire Norbert Zongo. Pour elles, la fatalité des événements doit être enterrée au cimetière pour laisser vivre l'espoir !
Dimanche 5 Août 2007, 15h. Le lieu est calme. Comme il devrait l'être. La pluie du matin rend l'accès du cimetière très difficile. Il y a de l'eau partout. Il faut faire des pirouettes pour s'y rendre. Malgré ces conditions, le rendez-vous mensuel est respecté. Elles arrivent par petits groupes. Les habituées du rendez-vous sont en tenue de deuil : noires des pieds à la tête. Elles s'appellent les " Femmes en noir du Faso ". Né en août 2006, au lendemain du non lieu sur l'affaire Norbert Zongo, le mouvement célèbre en ce mois d'août son premier anniversaire. Le hasard de calendrier a fait que le premier dimanche du mois tombe sur un 5 Août, date anniversaire de l'indépendance du Burkina. Une date de souvenir. C'est également pour perpétuer la mémoire de Norbert Zongo et réclamer vérité et justice sur son assassinat le 13 décembre 1998 que chaque premier dimanche du mois, les " Femmes en noir " se retrouvent au cimetière de Gounghin, secteur 17 de Ouagadougou. Le temps n'a pas entamé leur détermination, même si leur rencontre est passée entre temps de chaque dimanche du mois à un dimanche. Les difficultés liées aux moyens de déplacement les ont amenées à réduire les fréquences de leur rendez-vous. Pour ce dimanche 5 août, elles sont une dizaine à faire le déplacement. Elles se connaissent presque toutes. Une seule semble être nouvelle. Bébé au dos, elle est venue, accompagnée de son frère. Elève stagiaire à Koudougou, elle est en vacances à Ouagadougou. Ce n'est pas sa première fois de venir en ses lieux. Elle était là à la première rencontre des " Femmes en noir " en 2006. Un an après, elle revient trouver presque les mêmes femmes. De temps à autre, des hommes viennent se joindre à elles. Comme ce 5 août, où le lauréat du concours Ciné droit libre, Abdoul Aziz Nikiéma est parmi elles. Son scénario primé porte d'ailleurs sur leur combat. Il prépare un film documentaire sur le mouvement. Il y a d'autres hommes qui sont là, mais ceux-ci sont des habitués du cimetière plus que les " Femmes en noir " elles-mêmes. Ces jeunes gens sont assis sur des tombes non loin de celles de Norbert et de ses compagnons. Certains affirment que ces jeunes viennent ici tous les jours. Le cimetière est leur refuge. Que font-ils exactement ? Ce qui est sûr, la position allongée de certains d'entre eux laisse penser qu'ils viennent se reposer, dormir. Ils ne font pas beaucoup attention aux femmes et elles non plus ont fini par s'habituer à leur présence. A 15h 30, la petite cérémonie peut commencer. Elles s'avancent lentement, évitant au passage les flaques d'eau et les monticules de tombes qui jalonnent l'accès de la tombe du journaliste assassiné. Face à la tombe, elles entonnent la prière de la Vierge Marie. D'abord en moré puis en français. Leurs doléances restent les mêmes : paix pour les disparus dans le royaume de Dieu et justice pour eux sur la terre des hommes. Pour que plus jamais, l'abominable ne se reproduit. Après la prière, la secrétaire générale, Mme Fatimata Ouédraogo, lit une déclaration qui mentionne entre autres "les nombreux soutiens moraux" qu'elles ont reçus durant ces douze derniers mois.
Soutiens et intimidations
Le dernier soutien en date reçu par les "
Femmes en noir " vient de la Commission Justice et paix de l'Eglise
catholique du Burkina. C'était en mai dernier où les
membres de cette Commission sont venus se recueillir sur la tombe
de Norbert et demander que le dossier soit ré ouvert. Pour
l'instant, c'est la seule structure au niveau national à les
soutenir ouvertement. Elles ont écrit trois fois au ministère
de la Promotion des Droits humains. Sans réponse. Les soutiens
viennent surtout des individus. Des anonymes pour la plupart. Comme
ce chercheur congolais qui s'est joint à elles lors de son
passage à Ouagadougou en mai dernier. Parfois, elles reçoivent
des messages de soutien par sms qui viennent des provinces. Ce dimanche
5 août, Mme Rouamba Georgette/ Zongo, la sœur de Norbert
Zongo, a reçu deux sms de femmes qui disent être à
Banfora, mais qui disent être de tout cœur avec elles au
cimetière. Mais les intimidations et menaces sont également
fréquentes.
"Au début, nous étions nombreuses, mais beaucoup
de femmes ont abandonné pour diverses raisons dont des intimidations
et des menaces. ", affirme Mme Rouamba. La sœur de Blaise
Ilboudo, une des victimes de Sapouy, qui venait régulièrement,
aurait renoncé sous les menaces de son pasteur. " Elle
nous a dit que le pasteur de son église l'a appelée
pour lui dire de ne plus venir avec nous au cimetière. Au début,
elle persistait à venir. Puis, un dimanche, à la fin
de notre prière, elle nous a dit qu'elle ne pourra plus venir
parce que son pasteur a dit que si elle continue, il va l'exclure
de son église. ", raconte Mme Rouamba. Depuis ce jour,
elle n'est plus revenue. Les femmes musulmanes ont subi des pressions
similaires : " Des femmes musulmanes du secteur venaient avec
nous. A la fin de la prière catholique, elles faisaient également
leur prière. Elles nous disaient chaque fois que leurs maris
ne sont pas contents. On leur a dit qu'il est interdit à une
femme musulmane d'aller dans un cimetière. Pendant des mois,
elles continuaient à venir jusqu'à ce que certaines
d'entre elles soient menacées de divorce. C'est ainsi qu'elles
ont abandonné. ", explique la sœur du journaliste.
La présidente des " Femmes en noir du Faso " n'est
pas épargnée. Son mari lui fait chaque fois des histoires.
" La dernière fois, il est venu me dire que je serai emprisonnée,
voire tuée si je continue d'aller au cimetière. Il dit
que ce sont des gens qui lui ont dit ça dans une buvette et
que lui, il ne veut pas de problème. Je lui ai dit d'aller
dire à ces gens de venir eux-mêmes me raconter ça.
Moi, je n'ai pas peur. Si je dois mourir pour ça, je suis d'accord.
", confie Mme Zongo née Tapsoba Martine. Les " Femmes
en noir " doivent faire face également à la désinformation.
" Des femmes me disent qu'on leur a dit de ne pas se fatiguer
venir au cimetière parce que la famille de Norbert a été
dédommagée. On leur aurait dit que la famille a reçu
des millions. ", déclare la sœur de Norbert. Malgré
ces difficultés, les " Femmes en noir " ne cèdent
pas au découragement. Au contraire, elles appellent d'autres
femmes à se joindre à elles: "Notre mouvement ne
manifeste pas contre le pouvoir. On demande seulement à l'Etat
de reprendre le dossier Norbert et de faire la lumière sur
tous les autres crimes.", assure la présidente.
Ce dimanche 5 août, elles ont encore renouvelé leur engagement
à poursuivre la lutte. Elles estiment que leur combat n'est
pas sélectif. Elles sont ouvertes à tout le monde. C'est
pourquoi elles n'excluent pas d'aller dans d'autres cimetières
si elles sont contactées par les familles des autres victimes.
Aux environs de 16h 15, le petit cérémonial était
déjà terminé. Calme et très digne, chacune
a repris le chemin de sa maison. Rendez-vous est pris pour le 2 septembre
pour la résistance active et non violente au déni de
justice.
L'Evènement Décembre 2001